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Inauguration du e-G8 Forum :
Discours de Nicolas Sarkozy, président de la République française
24 mai 2011, Paris
Mesdames et Messieurs,
L'Histoire se souvient toujours de ces lieux vers lesquels, à un moment donné, toutes les forces créatives d'une époque semblent vouloir converger.
Aussi, c'est en formant les vœux que Paris devienne pour quelques jours la capitale de l'Internet que j'ai souhaité vous réunir, à la veille du G8.
Ce moment est important car c'est à ma connaissance la première fois, que l'ensemble de ceux qui ont contribué par leur talent à changer le monde, je devrais dire, à nous faire changer de monde, sont réunis en un seul et même lieu.
La France et le G8 ont en effet l'honneur d'accueillir des femmes et des hommes dont le nom est aujourd'hui attaché à l'émergence d'une nouvelle forme de civilisation.
Si nous savons nous écouter, nous parler, nous entendre, j'ai l'intime conviction que nous sommes en mesure de donner à ce G8 une dimension historique ; de permettre à notre époque de prendre pleinement conscience d'elle-même et de dépasser de formidables aventures individuelles pour entrer de plain-pied dans l'histoire collective.
Notre monde avait déjà connu deux mondialisations.
De la première, celle des grandes découvertes, nous avons hérité un monde achevé, un monde dont Magellan pouvait faire le tour, un monde que l'on pouvait explorer et cartographier.
De la seconde, celle des révolutions industrielles, nous avons hérité un espace non seulement achevé mais domestiqué, asservi même parfois.
Avec la troisième mondialisation, celle dont vous êtes tout à la fois les acteurs et les promoteurs, vous avez changé la perception que le monde se fait de lui-même.
Vous avez changé la notion d'espace car Internet non seulement abolit la distance qui sépare les hommes mais il ouvre un monde virtuel qui est par définition, sans limites.
Un monde où chacun peut entrer en contact avec l'autre.
Un monde où chacun peut construire son propre territoire, sa propre communauté, voire sa propre société.
Vous avez changé la notion du temps en abolissant la notion même de durée au profit d'une immédiateté qui donne à chacun la possibilité d'accéder instantanément à l'autre, à l'information et pour tout dire au champ des possibles.
Vous avez changé jusqu'à la perception de l'Histoire car même si elle est parfois contestable, dans sa méthode comme dans ses effets, la transparence s'est imposée aux États eux-mêmes.
Vous avez changé la relation aux choses et aux objets par le seul phénomène de la « dématérialisation ».
Vous avez changé la notion même de connaissance en offrant à chacun la possibilité d'accéder à tout le savoir et non seulement d'y accéder mais d'y contribuer. Le rêve d'une bibliothèque universelle qui recueillerait tous les savoirs du monde, ce rêve vieux comme l'Antiquité, est aujourd'hui une réalité pour des millions d'internautes.
En quelques années, vous avez bouleversé les fondements même de l'économie mondiale dont vous êtes devenus des acteurs majeurs.
Vous avez changé le monde.
Pour moi, vous avez changé le monde au même titre que Colomb et Galilée.
Vous avez changé le monde au même titre que Newton et Edison.
Vous avez changé le monde avec l'imagination de l'inventeur et l'audace de l'entrepreneur.
Chose unique dans l'Histoire, cette révolution totale est immédiatement et irrémédiablement globale.
Chose unique dans l'Histoire, cette révolution n'appartient à personne, elle n'a pas de drapeau, elle n'a pas de slogan : cette révolution est un bien commun.
Chose unique dans l'histoire, cette révolution s'est faite sans violence.
La découverte du Nouveau Monde avait entrainé l'anéantissement des civilisations amérindiennes.
La révolution mondiale que vous incarnez a été pacifique. Elle n'est pas née sur des champs de bataille mais sur des campus universitaires.
Elle a surgi de la combinaison miraculeuse de la science et de la culture, de la volonté de connaître et de la volonté de transmettre.
La mythologie propre à la naissance de votre secteur voudrait que Google ait été créé dans un garage : je retiens surtout que Google est né dans une bibliothèque universitaire.
L'imaginaire d'Hollywood voudrait que Facebook soit né d'un dépit amoureux : on en souhaite beaucoup comme ça. Je retiens surtout que Facebook est né au sein d'un campus universitaire de très haut niveau.
Cette révolution qui a modifié jusqu'à notre perception du temps et de l'espace a joué un rôle déterminant dans le déroulement d'autres révolutions. En Tunisie, en Égypte, de simples individus ont pu faire vaciller un pouvoir qui s'était totalement déconsidéré en construisant des barricades virtuelles et des rassemblements bien réels.
Les peuples des pays arabes ont ainsi montré au monde qu'Internet n'appartenait pas aux Etats. L'opinion internationale a pu ainsi constater qu'Internet était devenu, pour la liberté d'expression, un vecteur d'une puissance inédite.
Comme toute révolution, la Révolution technologique et culturelle que vous avez engagée est porteuse d'une promesse. Une promesse immense. Une promesse aux dimensions du progrès considérable que vous incarnez.
Cette Révolution est arrivée au premier stade de sa maturité, elle ne doit pas oublier la promesse des origines.
Si vous avez conçu les outils qui sont aujourd'hui les vôtres, c'est parce que vous rêviez d'un monde plus ouvert.
Si vous avez construit les réseaux sociaux qui réunissent aujourd'hui des millions de femmes et d'hommes, c'est parce que vous rêviez d'un monde plus fraternel.
Si vous avez donné une réalité à l'utopie, c'est parce que vous aviez foi en l'Homme et en son avenir.
Si vous avez rencontré aussi vite un succès planétaire, c'est parce que cette promesse fait référence à des valeurs universelles.
Votre action doit donc se lire à l'échelle de l'Histoire et s'inscrire dans une dynamique de civilisation.
De là, votre niveau de responsabilité, car vous avez une responsabilité.
Notre responsabilité, à nous chefs d'États et de gouvernement, n'est pas moindre. Nous devons accompagner une révolution qui est née au cœur de la société civile pour la société civile et qui a un impact direct sur la vie des Etats. Car si la technologie est neutre et doit le rester, on voit bien que les usages d'Internet ne le sont pas.
Aujourd'hui penser l'Internet relève d'une véritable responsabilité historique et cette responsabilité ne peut être qu'une responsabilité partagée, entre vous et nous.
Il s'agit pour les États du G8, parmi les plus puissants du monde de reconnaître le rôle qui est désormais le vôtre dans la marche de l'Histoire. Nous voulons entendre votre expertise, car nous avons des choses à apprendre. Nous avons des choses à comprendre. De la même façon que les individus et les entreprises, les Etats n'ont pas l'intention de rater l'opportunité du progrès auquel vous avez donné naissance et que vous incarnez.
Comment utiliser Internet pour renforcer la démocratie, le dialogue social, la solidarité ? Comment utiliser Internet pour améliorer l'efficacité du fonctionnement de l'Etat ? Comment insuffler dans l'Etat cet esprit d'innovation et d'entreprise, caractéristique de votre secteur ?
Il s'agissait aussi pour les États que nous représentons de signifier que l'univers que vous représentez n'est pas un univers parallèle, affranchi des règles du droit, affranchi de la morale et plus généralement de tous les principes fondamentaux qui gouvernent la vie sociale dans les pays démocratiques.
Dès lors qu'Internet fait aujourd'hui partie intégrante de la vie du plus grand nombre, ce serait une contradiction que d'écarter les Gouvernements de cet immense forum. Personne ne peut ni ne doit oublier que les gouvernements sont dans nos démocraties, les représentants légitimes de la volonté générale. L'oublier, c'est prendre le risque du chaos démocratique donc de l'anarchie. L'oublier, ce serait confondre le populisme avec la démocratie d'opinion.
La juxtaposition de volontés individuelles n'a jamais fait une volonté générale.
L'amalgame des seules aspirations individuelles ne suffit pas à faire un contrat social.
Les Etats et les Gouvernements ont l'expérience de l'Histoire, et je voudrais vous parler au nom du pays qui a forgé la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Alors, Mesdames et Messieurs, soyez fidèle à la promesse de la Révolution que vous avez lancée.
Le marché a ses propres mécanismes de régulation mais aucun échange n'est réellement libre si les termes de cet échange sont inéquitables.
Ne laissez pas construire de nouvelles barrières là où vous avez fait tomber les vieux murs de l'ancien monde.
Ne laissez pas s'installer de nouveaux monopoles là où vous avez renversé des situations acquises qui paraissaient inébranlables.
En donnant à chaque individu, où qu'il soit et d'où qu'il parle, la possibilité d'être entendu par tous et en tout lieu, vous avez donné à chaque citoyen du monde un droit d'expression qui n'a jamais connu d'équivalent dans l'Histoire. Ce progrès fantastique des pouvoirs de l'individu ne peut pas avoir été gagné aux dépens des droits de l'Autre.
Ne laissez pas la révolution que vous avez lancée porter atteinte au droit élémentaire de chacun à une vie privée et à une pleine autonomie. La transparence totale, celle qui ne laisse jamais l'Homme en repos, se heurte tôt ou tard au principe même de la liberté individuelle.
N'oubliez pas que derrière l'internaute anonyme, il y a un citoyen bien réel qui évolue dans une société, une culture, une nation organisée à laquelle il appartient et aux lois de laquelle il adhère.
N'oubliez pas que c'est dans l'engagement de vos entreprises à contribuer équitablement aux écosystèmes nationaux, que sera appréciée la sincérité de votre promesse.
Ne laissez pas la technologie que vous avez forgée porter atteinte au droit élémentaire des enfants à vivre protégés des turpitudes de certains adultes.
Ne laissez pas la révolution que vous avez lancée véhiculer le mal, sans entrave ni retenue. Ne la laissez pas, cette révolution, devenir un instrument aux mains de ceux qui veulent porter atteinte à notre sécurité et donc à notre liberté et à notre intégrité.
Vous avez permis à chacun, par la seule magie du Web, d'accéder d'un simple clic à toutes les richesses culturelles du monde. Il serait vraiment paradoxal que le Web contribue, à terme, à les assécher.
Cette immense richesse culturelle qui fait l'éclat de nos civilisations, nous la devons à la puissance créative des artistes, des auteurs et des penseurs. En un mot, nous la devons à ceux qui travaillent à l'enchantement du monde.
Pourtant cette puissance de création est fragile car si les esprits créatifs sont spoliés du fruit de leurs talents, ils ne sont pas simplement ruinés, plus grave, ils perdent leur autonomie, ils seront contraints de mettre leur liberté en gage.
Je vous le dis en pensant à un homme, un français mort il y a plus de deux siècles, qui avec une seule pièce de théâtre a fait vaciller une monarchie presque millénaire, un homme aussi qui, avec Lafayette, fut l'un des premiers défenseurs de l'Indépendance américaine.
Cet homme, il vous ressemble car, parti de rien et n'ayant que son intelligence pour tout bagage, il a renversé un ordre que l'on croyait immuable et éternel. Cet homme, c'est Beaumarchais. Ce même homme a inventé le principe du droit d'auteur. Il a, alors, fait mieux que de donner aux créateurs les droits de propriété de leurs œuvres, il leur a garanti l'indépendance, il leur offert la liberté.
Je sais et j'entends bien que notre conception « française » du droit d'auteur n'est pas la même qu'aux États-Unis ou dans d'autres pays.
Je veux simplement dire notre attachement à des principes universels, ceux que proclament aussi bien la Constitution américaine que la Déclaration des Droits de l'Homme : personne ne doit pouvoir être impunément exproprié du produit de ses idées, de son travail, de son imagination, de sa propriété intellectuelle.
Ce que j'exprime ici chacun de vous doit pouvoir l'entendre car avant d'être des entrepreneurs, vous êtes des créateurs et c'est en vertu de ce droit de créateur que vous avez pu fonder des entreprises qui sont aujourd'hui devenues des empires. Ces algorithmes qui font votre puissance, cette innovation permanente qui fait votre force, cette technologie qui change le monde sont votre propriété et personne ne vous le conteste. Chacun de vous, chacun de nous, peut donc comprendre que l'écrivain, le réalisateur, le musicien, l'interprète puissent avoir les mêmes droits.
Ce droit des créateurs a pouvoir recevoir la juste rétribution de leurs idées et de leurs talents vaut aussi pour chacun des États que nous représentons.
Les États investissent dans la formation de ceux qui rejoignent ensuite vos entreprises.
Les États investissent dans les infrastructures techniques qui permettent ensuite le transport des services et des contenus qui circulent sur le web.
Les États souhaitent engager avec vous un dialogue pour qu'une voie équilibrée puisse un jour être trouvée entre vos intérêts, ceux des internautes qui vous plébiscitent chaque jour et ceux des citoyens et des contribuables de chaque Nation qui ont aussi des droits.
Nous sortons d'une crise terrible, fruit de l'aveuglement de puissances financières qui ont perdu de vue l'essentiel pour tout sacrifier à l'argent.
Des puissances qui ont voulu s'affranchir du regard des peuples, des puissances qui ont voulu échapper au dialogue avec les Gouvernement élus qui portent l'intérêt général.
C'est donc simplement un appel à la responsabilité collective que je lance ici. Un appel à la responsabilité et donc un appel à la Raison.
Nous croyons aux mêmes valeurs. Je suis donc convaincu qu'un chemin est possible. Un chemin qui puisse permettre au monde que vous avez créé et au monde dont nous sommes les héritiers de marcher côte à côte dans l'intérêt général d'un monde devenu global et en grande partie grâce à vous.
Alors entamons, ensemble, ce dialogue indispensable. Ouvrons et construisons ce nouveau forum.
Je vous remercie parce que quand j'ai eu l'idée de ce forum, au début tout le monde m'a dit que c'était une mauvaise idée, sauf Maurice LEVY quand je lui ai proposé d'en être l'organisateur. D'abord mes collègues chefs d'Etat et de gouvernement, qui m'ont dit « encore une fois : tu prends trop de risques ». Moi, je pense que le pire risque, c'est celui de ne pas en prendre ; que le pire risque, c'est celui de ne pas se parler ; et moi je pense que l'on ne prend jamais de risques quand on en appelle à l'intelligence des gens, celui du monde qui est le vôtre, qui s'est dit : « mais qu'est-ce que l'on a à faire avec les chefs d'Etat et de gouvernement ? » Je pense que l'on a beaucoup à faire ensemble et je serai très heureux jeudi qu'une délégation d'entre vous puisse dialoguer avec mes collègues chefs d'Etat et de gouvernement. Nous avons besoin de ce dialogue, nous avons besoin de comprendre vos attentes, vos aspirations, vos besoins et vous avez besoin d'entendre nos limites, nos lignes rouges, les problèmes dont nous sommes porteurs au nom de l'intérêt général de nos sociétés. C'est vous dire combien je suis heureux de vous recevoir à Paris et combien je serai encore plus heureux, si ce forum pouvait se tenir chaque année avant le G8, pour que nous sachions bien, nous, où vous vous trouvez et pour que vous sachiez, vous, ce que nous pensons.
Je vous remercie.
Source: Présidence française du G8 et G20
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