[an error occurred while processing this directive]
Lien à la video | Lien à l'audio
Ambassadeur Robert R. Fowler, représentant personnel du Premier ministre du Canada pour le sommet du G8 et pour l'Afrique
Rapport rédigé par Céline Füri et Caroline Saint-Mleux
Université McGill, Montréal
Vendredi, le 3 mai 2002
" Le choix de Kananaskis permet une formule de sommet plus intime, l'idéal pour une discussion productive. " Telle a été l'entrée en matière tant de Rémi Bujold, vice-président du Conseil de GPC Canada, à Montréal que de l'invité spécial dont il assumait la présentation, l'ambassadeur Robert R. Fowler. La " sommetterie " et ses tendances actuelles semblaient entériné d'emblée devant l'auditoire éclectique rassemblé le vendredi 3 mai à l'Université McGill: une réaffirmation du fossé, de moins en moins subtilement entretenu, entre les leaders du monde globalisé et la population réclamant une transparence à laquelle elle a droit. La conférence aussi se voulait avant tout un échange intime - les montagnes en moins - entre l'ambassadeur et les étudiants, atmosphère à peine entachée par l'ouverture inopinée de l'événement au public.
L'officialité politique du discours ne portait heureusement pas ombrage à un engagement authentique. Usant avec l'aisance d'un expert d'une panoplie de références très précises pour étayer son argumentation, M. Fowler n'a pas laissé de doute quant au sérieux adopté et au cœur investi dans son endossement de l'effort de redressement de l'Afrique. C'est d'ailleurs aux enjeux et perspectives relatifs au Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique (NPDA), la priorité la plus canadienne à l'agenda de Kananaskis, que le conférencier a consacré la majeure partie de son allocution.
La consternation devant le défi d'une Afrique " à développer " est sans contredit un éternel refrain dans la complainte de la gouvernance globale. Ce qui semble toutefois en changer l'air à l'heure actuelle est le caractère foncièrement nouveau que revêt le NPDA. Il ne s'agit pas d'une conspiration du monde développé, mais bien d'une importante " initiative conçue par les Africains, pour les Africains ", un souffle nouveau nécessaire afin " d'empêcher l'Afrique de tomber dans l'oubli ".
Une place nouvelle accordée à l'Afrique, certes, mais pas à sa population, ont eu tôt fait de rétorquer plusieurs dans la salle. Le manque apparent de consultation auprès des principaux concernés par un plan censé réaliser les Objectifs du millénaire onusiens, a été plusieurs fois souligné. Tout comme le risque qu'au lieu d'une innovation véritable, le NPDA ne constitue rien de plus qu'un prolongement des erreurs du passé. La pilule néo-libérale est récurremment pointée du doigt pour ses conséquences désastreuses, principalement lorsqu'il est question des indicateurs socio-économiques pour les peuples qui ont eu à l'avaler. À ce titre, rappelons que si ces paramètres ont bel et bien chuté depuis les dernières décennies sur le continent africain, comme l'a signalé monsieur Fowler, la dégringolade ne s'est réellement entamée qu'à partir des années 1980, à l'heure de l'implantation des programmes d'ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale.
Le sherpa a habilement contourné toutes références à la doctrine néo-libérale, se contentant d'accentuer abondamment la nécessité de rendre les ressources africaines attrayantes et accessibles aux investisseurs. Quant à la consultation lacunaire et aux failles d'une approche fondamentalement " top-down ", Fowler a répliqué en jouant la carte de l'efficacité: " s'il ne s'était pas agi d'une initiative émanant des leaders, je doute fort que nous serions ici aujourd'hui à mener ce dialogue". Les gouvernements, une fois exemptés de la tâche de prendre en considération la voix de la société civile, sont évidemment en mesure de faire progresser plus rapidement le processus décisionnel. Au détriment de la légitimité d'institutions prétendument démocratiques, aux yeux d'aucuns.
N'est-il pas inconséquent de décrier la marginalisation, quand l'effort d'inclusion est incomplet? Car c'est bien l'appréhension de la marginalisation de l'Afrique, menace indéniable à la sécurité globale d'un monde toujours plus interdépendant, qui a motivé l'intérêt des membres du G8 pour la concrétisation du NPDA. " Les Africains n'ont pas la possibilité d'opter pour la mondialisation puisqu'il n'y ont jamais eu accès au quotidien". Au contraire, s'est empressée de rétorquer une étudiante de McGill. Ils sont les premiers à en subir les contre-coups sous forme d'une marginalisation souvent plus directement ressentie, celle-là. L'impossibilité financière de se procurer des traitements contre le SIDA aux prix définis par le protectionnisme pharmaceutique, par exemple.
La sélectivité est également passée au banc des accusés. Condition sine qua non, selon M. Fowler, dans la poursuite d'une bonne gouvernance " vers laquelle tout le monde en Afrique n'est pas prêt à travailler "; entrave à un effort sincère de développement, de l'avis de la majorité du public. L'éradication de la pauvreté est le fardeau de peuples qui bien souvent n'ont pas élu ceux qui les gouvernent et où la corruption est un mal aux racines profondes. Or on ne peut prétendre à un enrayement effectif de la mauvaise gouvernance sans traiter simultanément un problème concomitant: la redistribution inéquitable des ressources. Malheureusement, ni le NPDA, ni le discours de M. Fowler ne mentionnent cette notion comme priorité, et comme charnière indispensable entre un programme focalisant sur l'investissement, et le mandat premier de réduction de " la misère africaine " conféré au NPDA.
Le ton dialectique de la conférence ne se voulait pas un discrédit du mérite innovateur de l'initiative NEPAD. Il a probablement plutôt été le reflet d'une fissure idéologique fondamentale entre les créateurs de politiques et porte-paroles des droits des populations. Entre les ambitions des leaders et les remises en question des étudiants. Entre la foi en le " top-down " ou en le " bottom-up ".
C'est donc un sentiment mitigé qu'affichait le public au sortir de la conférence. L'appréciation d'un engagement et d'un désir de dialogue loin d'être feints par l'ambassadeur. Mais également une insatisfaction persistante, fruit du perpétuel décalage entre la rhétorique d'engagement et les engagements réels, quantifiables, liants. Certains déploraient que l'Alliance pour le progrès, sorte de NPDA latino-américain des années 60 instigué par les États-Unis, impliquait les mêmes sommes que le NPDA aujourd'hui (pour une population deux fois moindre et à quelques 40 années de décalage). D'autres rappellent le vide tangible de Monterrey, en espérant que Kananaskis sache réajuster le tir en prévision du sommet de Johannesbourg au mois d'août prochain.